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Publié le par Juliette Mézenc

Les Voisins


A l'origine de "Femme côté nord", il y a eu cet immeuble en face du mien


Sur le balcon, une femme

Elle était là, la tête seule émergeant d’entre les deux battants de ses volets, émergeant du noir qui la mangerait ensuite, immanquablement, une fois sa curiosité satisfaite.
(...)

le corps de la vieille femme contrastait violemment avec sa tête aiguë de rapace à l’affût. Il semblait mou et informe sous la blouse à carreaux qui le sanglait sans parvenir à lui donner plus de tenue. Les charentaises à ses pieds achevaient de lui conférer l’aspect peu élégant d’un sac en toile de jute rempli de sable ou de quelque autre matière meuble, inerte et pesante. Sa tête, qu’elle avait en revanche aussi mobile qu’une girouette, prompte à virer au moindre bruit susceptible d’attiser sa curiosité, se détourna vivement dès que son regard rencontra celui de Chiara.

Sa présence me fascinait et m'oppressait. Un peu comme Jacques, plus tard, dans "Passera passera pas" (ex-Poreuse) avec ses Noirs...

J’ai dû m’assoupir. La vitre ouverte m’apporte la fraîcheur du large, la nuit s’est levée. Et j’entends le sable crier. Doucement. On l’éventre avec soin, on ouvre son ventre blanc, un peu plus loin, c’est du moins ce qu’il me chuchote à l’oreille. Je ne dors plus, pourtant. Les yeux ouverts, j’ai du mal à voir ce que je vois… Je suis forcé de fermer puis rouvrir les yeux. Plusieurs fois. Mais c’est bien ça : des hommes hâlent une sorte de grande barque sur le sable. Leur peau noire luit sous la lune, derrière eux clapote une mer nappe huilée, le tableau est saisissant. Leur peau noire jette, lames acérées, des éclats aussi blancs que le blanc de leurs yeux, que le blanc de leurs dents, leurs dents faites pour déchirer la chair crue. Mon sang afflue me déborde, mon sang ne fait qu’un tour puis se fige. Incapable de bouger cause globules pétrifiés, j’observe. En tout, ils sont dix. Dix solides gaillards qui avancent, moitié nus, entre la lune et le sable. Conquérants. Leurs muscles roulent sous la peau tendue à craquer et ça fait comme des animaux tout chauds qui se déplacent sous la peau, comme des animaux tout chauds prêts à bondir de sous l’étoffe, sombre. Ils m’ont vu, repéré, sûr, ils se dirigent vers moi, sûr, vers ma voiture, non, pas ma voiture, ils vont la mettre en pièces, un cauchemar, je me redresse, il faut que je fasse quelque chose, quelque chose, vite, ils vont la mettre en pièces, en pièces détachées, et moi avec, ils vont tout mastiquer, avaler, vont faire de moi qu’une bouchée, ils sont si forts, si goulus, si noirs et si miséreux surtout, des guenilles battent leurs mollets durs, leurs yeux grandissent, impossible de bouger, leurs yeux grandissent, ce sont maintenant des lunes, énormes, qui montent dans la voiture, leurs dents font une ronde autour de moi tandis que mes os se disloquent s’entrechoquent dans ma chair liquéfiée. Je me répands en eau et c’est tant mieux, oui c’est tant mieux : ils n’auront rien à se mettre sous la dent, voilà, puisque c’est comme ça je coule le bateau, que leurs dents claquent dans le vide, ils iront voir ailleurs, ailleurs qu’ici, chez nous, chez moi, il ne manquerait plus que ça, d’ailleurs, qu’ils se repaissent de ma chair bodybuildée, rudement gagnée, de ma peau dorée, bronzée aux U.V., ils savent seulement ce qu’il en coûte, ils croient peut-être que c’est facile, ils savent, eux, ce que c’est que de trimer du matin au soir et du soir au matin pour s’assurer une vie décente ! des paresseux, des peigne-culs qui traînent leur guêtres toute la sainte journée et qui, le soir venu, s’en vont bouffer le pain du voisin ! Mais faites-moi confiance, je ne les laisserai pas faire. Je suis prêt. Je les attends.

 

Chacun ses peurs.

La femme de l'appartement d'en face a été donc à l'origine de "Femme côté nord". Après en avoir fini avec ce récit, j'ai cherché un nouvel appartement. Et j'ai déménagé.

















Publié dans kommen kon krée

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