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Publié le par Juliette Mézenc

Histoire de Seydou, Grand reportage sur RFI

De Kati (Mali) à L’île de Ténérife (Espagne)

- Centre d’hébergement -

On était cinquante personnes, on est rentrés dans un pirogue, on avait un GPS, qui nous montrait le chemin. Depuis le deuxième jour, le GPS s’est tombé dans l’eau, ça ne marchait plus, on ne sait plus là où on est. Le pirogue, ça bougeait trop, y avait beaucoup de vagues, sur les pirogues et y avait quelqu’un là-dedans, il ne pouvait plus se lever, il avait trop faim, il avait trop froid, il était malade aussi. Même si on le levait, il se tombait. Il est mort. On l’a emmené, au port de Ténérife. Les gens de Ténérife, y nous a vus dans l’eau, avec un hélicoptère. Depuis qu’il nous a vus, on a levé notre main à lui. Après, l’équipe de sauvetage est partie, il nous cherchait avec un bateau, à ce moment-là (rire) j’étais très content, parce que je, j’ai (rire) je croyais que j’étais mort. Quand je suis arrivé à Ténérife ici, beaucoup de prières, pour Dieu, parce que, on croyait tous qu’on était morts. Physiquement, j’étais mal parce que, mes muscles des genoux, ça me faisait très mal. Et aussi j’avais arrêté de manger, ça faisait trois jours. J’avais trop de faim. Ils ne voulaient pas que je vienne, ils avaient très peur, mais, je les ai forcés, ils m’ont laissés partir, mon père, il est cultivateur. Ma mère, elle est ménagère. Et, la pluie, ça ne pleut pas beaucoup là-bas. J’étais un peu fort en étude, mais, j’avais peur après pour mon avenir, parce que je voyais mes grands frères à la maison, ils avaient les diplômes, ils n’avaient rien. Moi j’ai dit. Il faut que j’aille. Ici, c’est très différent, le climat, c’est pas bon, il n’y a pas d’argent, on fait l’école ici, il n’y a pas de travail, faut que je sors, c’est ça mon défi. Or, je n’ai pas été perdu dans le voyage, je ne peux pas se perdre ici.

 

 

J’ai dû m’assoupir. La vitre ouverte m’apporte la fraîcheur du large, la nuit s’est levée. Et j’entends le sable crier. Doucement. On l’éventre avec soin un peu plus loin, c’est du moins ce qu’il me chuchote à l’oreille. Je ne dors plus, pourtant. Les yeux ouverts, j’ai du mal à voir ce que je vois… Je suis forcé de fermer puis rouvrir les yeux. Plusieurs fois. Mais c’est bien ça : des hommes hâlent une pirogue sur le sable. Leur peau noire luit sous la lune, derrière eux clapote une mer nappe huilée, le tableau est saisissant. Leur peau noire jette, lames acérées, des éclats aussi blancs que le blanc de leurs yeux, que le blanc de leurs dents, leurs dents faites pour déchirer la chair crue. Mon sang afflue me déborde, mon sang ne fait qu’un tour puis se fige. Incapable de bouger cause globules pétrifiés, j’observe. En tout, ils sont dix. Dix solides gaillards qui avancent, moitié nus, entre la lune et le sable. Conquérants. Leurs muscles roulent sous la peau tendue à craquer et ça fait comme des animaux tout chauds qui se déplacent sous la peau, comme des animaux tout chauds prêts à bondir de sous l’étoffe, sombre. Ils m’ont vu, repéré, sûr, ils se dirigent vers moi, sûr, vers ma voiture, non, pas ma voiture, ils vont la mettre en pièces, un cauchemar, je me redresse, il faut que je fasse quelque chose, quelque chose, vite, ils vont la mettre en pièces, en pièces détachées, et moi avec, ils vont tout mastiquer, avaler, ne vont faire de moi qu’une bouchée et même pas à la reine, ils sont si forts, si goulus, si noirs et si miséreux surtout, des guenilles battent leurs mollets durs, leurs yeux grandissent, impossible de bouger, leurs yeux grandissent, ce sont maintenant des lunes, énormes, qui montent dans la voiture, leurs dents font une ronde autour de moi tandis que mes os se disloquent s’entrechoquent dans ma chair liquéfiée. Je me répands en eau et c’est tant mieux, oui c’est tant mieux : ils n’auront rien à se mettre sous la dent, voilà, puisque c’est comme ça je coule le bateau, que leurs dents claquent dans le vide, ils iront voir ailleurs, ailleurs qu’ici, chez nous, chez moi, il ne manquerait plus que ça, d’ailleurs, qu’ils se repaissent de ma chair bodybuildée, rudement gagnée, de ma peau dorée, bronzée aux U.V., ils savent seulement ce qu’il en coûte, ils croient peut-être que c’est facile, ils savent, eux, ce que c’est que de trimer du matin au soir et du soir au matin pour s’assurer une vie décente ! Bien sûr que non… des paresseux, des peigne-culs qui traînent leur guêtres toute la sainte journée et qui, le soir venu, s’en vont bouffer le pain du voisin ! Mais faites-moi confiance, je ne les laisserai pas faire. Je suis prêt. Je les attends.

 

                                     Nouveau récit (en cours)

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