comment lisez-vous ?

Publié le par Juliette Mézenc

  je mettrai régulièrement en ligne les textes produits au cours de l'atelier d'écriture que je mène tous les samedis à la Librairie L'Echappée Belle, Sète (encore merci à toute l'équipe pour l'accueil). Samedi 9 octobre nous avons travaillé à partir d'un extrait de Septentrion de calaferte : le narrateur expose la secrète jubilation qui s'empare de lui lorsque "les fesses nues, le sexe vacant entre les cuisses, ventre libre, dégagé jusqu'au nombril", aux "cabinets" donc, il se plonge dans la lecture... Jouissance sans doute augmentée du fait que ce temps-là est volé au patron, à l'usine et son "atmosphère de prison déguisée".

La proposition d'écriture portait sur le "comment" : comment vous lisez, assis, debout, couché ? Comment, votre corps, dans la lecture ? froissé ? tendu ?

Voici deux réponses possibles, merci aux auteurs.

 

 

BATHROOM

 

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Une eau très chaude, 40 – 41°, légèrement parfumée mais sans  mousse pour ne pas laisser de poisse sur les chairs. Les oreilles et la racine des cheveux plongées dans le  liquide, le ventre immergé faisant naître les vaguelettes cognant doucement les parois d'émail dans une sorte de mouvement perpétuel. La pointe de mes seins dépassant de cette masse translucide et tremblante comme deux îles jumelles prêtes  acceuillir d'éventuels naufragés.

Voilà comment j'aime partir à la recherche du temps perdu.

Tous les 2 ou 3 chapitres je rajoute une once d'eau  brûlante et me meus à la façon d'une baleine dans un aquarium remuant les cheveux comme une crinière d'algues pour mélanger les flux chauds et froids. Parfois au loin reste la rumeur d'une radio venant se mêler  au bourdonnement répétitif de la chaudière pour se transformer en un paysage neigeux et paisible. Les sons épousent la forme oblongue de la baignoire aux bords arrondis. Le sang fouette les tempes comme un souffle de vent et les mots résonnent en vibrations profondes dans le silence amniotique.

Ici rien ne peut faire mal.

Le monde s'écrit en aplats de noir sur blanc et rien ne peut en arrêter le cours, une page après l'autre.

De temps en temps bien sûr il arrive que l'extrême pointe d'une feuille morde l'eau, ce qui a pour effet de me réveiller instantanément. Je rajoute promptement une double dose d'eau chaude et vérifie l'épaisseur des sillons creusés dans ma plante de pieds avant de poursuivre l'exploration sous marine des mots couchés par d'autres.

Il faut être vigilant car on raconte que des gens sont morts de s'endormir ainsi dans leur bain devenant de plus en plus froid sans qu'ils 'en rendent compte. La peau se flettrie et les pores s'ouvrent au point que le corps se laisse peu à peu gorger d'eau devenant tellement lourd qu'il peut disparaître complètement de la surface du  bain, sombrant sans un remou dans les profondeurs de la baignoire, aspiré par le fond auquel il se colle comme une ventouse.

La mutation de l'homme en poulpe est achevée.

La noyade est une mort lente et sans douleur, qui plus est, une mort propre. Si la solution de rejoindre la mer par les égouts était une voie possible de mutation de l'homme en poulpe cela fait longtemps que j'aurais disparu dans l'oeil du siphon et pris la fuite en prenant mon bain.

 

  

Elise Carville 

 

 

 

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lunettes pour lire 8

 

John Skinner

 

 

Lire avec ou sans délire, relire, se relier au monde des mots et des pensées muettes que l’on va cueillir. Lire pour abolir les limites, pour embellir la vie.

Lire comme on grignote, une phrase par-ci une autre par-là. Les poèmes par exemple. L’un arrive et conduit à l’autre parfois lointain dont on a le souvenir tout estompé, comme un tableau qui serait plongé dans le brouillard.

Lire comme on marche, d’un pas alerte ou au contraire comme une sieste. Il fait bon dans la calanque ; on reste au soleil et l’histoire peut s’enrouler dans l’odeur de pinède.

Lire et être pris d’une folle – délire encore – envie d’écrire, de répondre, de passer à travers les lignes, de se précipiter dans les marges, et bien au-delà.

Lire et polir les mots que l’on laisse jaillir.

 

Je ne lis pas, je laisse s’accomplir le voyage. Parfois j’embarque avec quelqu’un et je jette mon encre, parfois je reste sur le quai.

 

Dominique

Publié dans ateliers d'écriture

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